Après un travail de réflexion de deux ans, nous fondons aujourd’hui collégialement Espace analytique Belgique, association de formation et de recherche psychanalytique. Cette brève présentation met l’accent sur plusieurs aspects importants de la clinique psychanalytique, de ses théories, de son enseignement et de sa transmission.
Si, à son époque, Sigmund Freud estimait que le psychanalyste pouvait se passer de l’Université puisque les Sociétés de Psychanalyse avaient été conçues pour dispenser l’enseignement nécessaire, force est de constater que ces mêmes Sociétés n’ont pas été en mesure d’assurer facilement cette tâche d’enseignement et de formation.
Certes, la transmission et l’enseignement de la psychanalyse peuvent s’aborder selon des dispositions distinctes selon qu’il s’agisse de formation ou d’information. Si le propre de l’enseignement est la communication d’un savoir, un tel enseignement n’est pourtant pas le but essentiel d’une association de psychanalystes. En effet, l’acquisition de connaissances théoriques est exigible mais non suffisante pour la formation des analystes. Il est donc essentiel d’approfondir la recherche analytique et favoriser le partage des acquis cliniques et théoriques.
Mais, apprendre quelque chose sur la psychanalyse ou apprendre quelque chose de la psychanalyse sont deux modalités radicalement différentes. Si nous avons tous expérimenté, dans notre cure, l’acquisition d’éléments non sus par nous-mêmes, notre analyste s’est cependant bien gardé de nous enseigner quoi que ce soit. Comme le rappelle Octave Mannoni : « L’instrument des découvertes dans cette situation, c’est le transfert où la communication du savoir n’y a aucune
part »1.
Dès lors, nous sommes en droit de nous demander si la psychanalyse s’enseigne. Et si oui, à partir de quelle expérience commune ? Et surtout, que cherchons-nous à transmettre ? Ces questions sont essentielles et primordiales tant au moment de la constitution d’une nouvelle association psychanalytique que durant son activité.
Nous ne prétendons pas pallier et résoudre une fois pour toutes le problème des rapports entre clinique psychanalytique, enseignement et formation analytique. Toutefois, nous souhaitons que ces questions continuent à s’élaborer au sein de notre association afin que les modalités nécessaires à la transmission et à l’enseignement de la psychanalyse soient constamment interrogées. Dès lors, la création d’un espace propice à cette réflexion est-elle nécessaire et ce, tout en étant attentif aux inévitables résistances inhérentes au groupe et à sa dynamique.
La question de la transmission de la psychanalyse nous confronte également à la question de l’idéal. Idéal ou idéalisation de la psychanalyse en tant que théorie ; idéalisation de la cure, de l’enseignement, de la formation et, au final, de l’association analytique. La vigilance est donc, à cet égard, de mise car ces idéalisations ont de profondes répercussions sur la pratique des analystes. Cette dernière est, en effet, beaucoup plus dépendante que nous ne l’imaginons de l’idéal institutionnel de l’analyste. Le patient et les analystes en formation sont toujours loin d’y gagner. L’association n’est donc nullement à idéaliser et toute élaboration au sein d’un groupe fermé accroît, inévitablement, l’écart entre la pratique et la théorie, au point que celles-ci constituent deux champs qui finissent par s’objecter ou se méconnaître. Espace analytique Belgique veillera à être un lieu ouvert, évitant la fermeture sur soi ou sur une doctrine théorique, synonyme pour nous d’une inhibition de la recherche et de la pratique clinique.
Nous savons tous combien une connaissance ne peut constituer une doctrine ayant réponse à tout et ce, sans occasionner irrémédiablement la menace d’une rigidification de la pensée, voire sa « sacralisation ». Aussi, est-ce avant tout dans un travail et un enrichissement créatif de recherche et de pratique clinique que s’élaborent nos rapports à la théorie. Les allers et retours incessants aux théories sont de mise, comme nous l’a démontré la démarche freudienne. Mais exiger que la pratique illustre la théorie, équivaudrait à mettre en échec le travail analytique de nos analysants.
En effet, si la transmission de la psychanalyse suppose redécouverte constante de la dimension de l’inconscient, rappelons toutefois, que la psychanalyse restera toujours imprévisible puisque l’inconscient est un savoir qui ne se sait pas. Aussi, tout rapport à ce savoir est-il inéluctablement remanié par les effets de l’inconscient. Nous demeurons ainsi dans un « savoir à advenir »2et non dans une connaissance suffisante. La psychanalyse est et reste donc orientée par la pratique avant tout et non uniquement par la théorie ; cette pratique est à réinventer avec chaque patient, demeurant ainsi un processus de création. A charge donc, pour l’analyste, de se réinventer à partir de cet intenable propre à sa fonction. Réinvention qui doit être également encouragée, incitée et soutenue par le mode de fonctionnement de l’association.
Comme l’avançait Maud Mannoni, « De même que toute conception de l’analyse est infléchie par le choix théorique du départ, les critères de sélections, comme la visée même de l’analyse, sont fonction de ce qui, au départ, se trouve privilégié dans le désir le l’analyste… »3
Le « désir de l’analyste » n’est-il pas le moteur essentiel de toute transmission psychanalytique ? Par conséquent, une association psychanalytique n’a-t-elle pas à transmettre également quelque chose de l’ordre de ce « désir de l’analyste » ? Désir qui n’est surtout pas à confondre avec le désir d’être psychanalyste. Car, si ce dernier est un point auquel une association psychanalytique ne cesse d’être confrontée, il convient toutefois qu’elle garde à cet égard une distance adéquate.
Ce désir particulier qu’est le désir de l’analyste peut être entendu comme une fonction. Nous soulignons ainsi combien il ne s’agit aucunement de la prescription d’une conduite à tenir ou à adopter dictant à un analyste, ce qu’il devrait faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire. Cette prescription s’apparentant plutôt à un désir d’être psychanalyste.
Si nous associons les termes d’institution psychanalytique et de fonction, c’est principalement pour évoquer que cette fonction est incarnée par ses différents membres analystes. Ceux et celles qui incarnent ces fonctions, varient, changent selon les transferts, les personnes et le temps. Ce mode d’incarnation, présent au sein d’Espace analytique Belgique, vise à éviter toute sacralisation d’une personne, d’un discours, d’une œuvre et de réduire ainsi une association psychanalytique à être l’association d’un chef de file, d’un maître, d’un Père fondateur.
Espace analytique Belgique renonce ainsi à dispenser un savoir entier, unique, rassurant, universitaire et s’engage à créer un lieu pour recevoir, entendre et accueillir l’adresse de l’autre. A charge d’Espace analytique Belgique et de ses membres d’être à l’écoute des demandes, des discours explicites qui lui sont adressés mais aussi des discours implicites : ces discours sans voix auxquels l’association a, dans le meilleur des cas, à permettre de trouver une adresse et ce, de par l’acte éthique et la place d’un lieu de travail qu’elle peut leur proposer.
Si comme l’avance Jacques Lacan « …il (l’analyste) doit simplement être capable d’offrir sa place comme place vacante au désir du patient… »4, nous pensons qu’une association psychanalytique a, elle aussi, à créer un lieu afin d’entendre les questions cliniques, théoriques et institutionnelles posées par ses membres et favoriser une mise au travail de celles-ci. La création d’un tel lieu permettra à l’association de soutenir de la sorte le désir qui fonde chacun de ses membres ; désir qui les porte à ce qu’ils s’engagent dans leurs dires, dans leurs actes psychanalytiques, transmettant ainsi « un désir averti »5 , désir que Jacques Lacan nomme le désir de l’analyste.
Cette fondation d’Espace analytique Belgique est avant tout collégiale ; un pacte entre pairs autour de la psychanalyse et ses transmissions. Cette association se veut être une « Association de Formation et de Recherche Psychanalytiques » car elle ne dispense nullement un savoir pré-digéré et suffisant. Aussi, si nous nous référerons singulièrement à l’œuvre de Jacques Lacan, nous nous disons psychanalystes freudiens car ce terme recouvre tout le champ de la psychanalyse sans exclusive. Espace analytique de Belgique souhaite rassembler, dans une communauté d’échanges dynamiques, des analystes ouverts à d’autres théoriciens et praticiens de la psychanalyse tels que Dolto, Ferenczi, Winnicott ou encore Klein. De cette pluralité des références résulte une relativisation possible de chaque approche théorique. Il est de la responsabilité de l’association et de ses membres de permettre que cette diversité soit source de richesses plutôt que de conflits. C’est « la pluralité des discours et des échanges cliniques qui peut maintenir un lieu à vocation de formation et de recherche »6.
Cette recherche, nous souhaitons que tous les membres de l’Association y prennent part. Il n’est pas besoin d’être reconnu analyste pour s’intéresser à la psychanalyse. Les analystes en formation sont, en fait, avec les patients, les véritables enseignants des enseignants. Le respect et la singularité de chacun sont les conditions sine qua non de la formation et de la recherche du psychanalyste. Aussi, tous les membres peuvent-ils proposer un thème de réflexion à la Commission formation et enseignement. Espace analytique Belgique veillera à différencier la transmission de la psychanalyse du statut des analystes au sein de l’association. C’est aussi avec les expériences tirées des erreurs que s’opère une formation et que naît une dimension éthique. C’est dans un après-coup qu’apparaîtra ce qui doit être privilégié, pour garantir à l’ensemble une rigueur de cohérence.
Pour les membres fondateurs.
Cédric Levaque,
Président d’Espace analytique de Belgique (2011-2017)* * *